La Lune, cette toupie
Avant d’aller plus loin, il faut rappeler une particularité du comportement de nos deux luminaires dans le ciel au cours des mois et de l’année.
Le Soleil
S’il est vrai que le Soleil à midi sous nos latitudes pointe au Sud, la position de son lever à l’Est et celle de son coucher à l’Ouest se déplacent sur l’horizon du Sud au Nord quand on avance de l’hiver vers l’été, puis du Nord au Sud lorsqu’on repart vers l’hiver. C’est l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre (d’environ 23 degrés) sur l’écliptique qui conduit à ce mouvement de balancier. Au solstice d’hiver le Soleil atteint sa position la plus australe sur l’horizon et marque un temps d’arrêt avant de se déplacer dans la direction opposée jusqu’à sa position la plus boréale au solstice d’été. Trois à quatre jours avant et après les solstices le déplacement du Soleil sur l’horizon est fortement ralenti si bien qu’il donne l’impression de faire du sur place. C’est de là que vient le nom de solstice, c’est-à-dire soleil stationnaire (latin soltitium, de sol soleil, status, de stare s’arrêter). Les solstices devaient représenter pour nos ancêtres le jour où l’année changeait de direction.
La Lune
A l’instar du Soleil, l’orbite lunaire n’étant pas dans le plan équatorial (inclinaison d’environ 5 degrés par rapport au plan de l’écliptique) un phénomène de balancier pour les lever et coucher de la Lune se produit mais à l’échelle du mois sur une durée d’environ 27,3 jours, la durée nécessaire à la Lune pour faire le tour de la Terre. Quand la Lune arrive à l’une de ses positions extrêmes sur l’horizon au cours du mois avant d’inverser son mouvement, on parle de lunistice (bien que contrairement au Soleil elle ne marque pas de temps d’arrêt pour repartir aussitôt). Mais l’amplitude de ce mouvement de balancier n’est pas constante à cause de la précession de l’orbite lunaire dont l’inclinaison par rapport à la Terre passe d’une valeur extrême à l’autre en 9,3 années (l’axe de l’orbite lunaire représenté par la flèche rouge sur le schéma A décrit dans le temps un cône rappelant le mouvement de l’axe d’une toupie en rotation). En conséquence l’amplitude du mouvement de balancier de la Lune sur l’horizon augmente au cours du temps entre son amplitude minimum et son amplitude maximum, avant de diminuer à nouveau, le cycle complet étant achevé en 18,6 années environ. Lorsque cette distance sur l’horizon entre la position la plus boréale et la plus australe de la Lune est la plus petite, nous parlons de station minimum ; et lorsqu’elle est la plus grande, de station maximum…
C’est cette particularité propre à la Lune qui donne une réponse à la question soulevée plus haut, une particularité qui se retrouve en effet inscrite dans le choix de l’orientation et du design de Stonehenge : en plus d’intercepter le coucher du Soleil par la porte du trilithe central au Solstice d’hiver, la structure visait la Lune par la lucarne à sa descente ce même jour lorsque sa trajectoire se trouvait dans sa station minimum[North J., 1996, Stonehenge: Neolithic Man and the Cosmos]. Les bâtisseurs de Stonehenge avaient donc repéré les propriétés du mouvement que notre satellite naturel adopte sur une période de 18,6 ans depuis au moins la deuxième moitié du troisième millénaire avant Jesus-Christ (phase 3ii dans la séquence de Cleal) et chose plus remarquable encore : au Solstice d’hivers de l’année correspondant à la station minimum c’est la nouvelle Lune qui passe au niveau de la lucarne, donc par définition une Lune qu’on ne voit pas. Outre le symbolisme d’une Lune invisible et souveraine à Stonehenge siégeant au-dessus du Soleil tous les 18,6 ans avant de plonger dans les entrailles de la Terre pour la nuit la plus longue de l’année, ce sont les talents d’ingénierie et le pouvoir d’abstraction de ces architectes que révèle cette merveille du Néolithique. En effet, comment orienter un monument sur un repère invisible ?