Le prophète Jonas et la figure du Léviathan

Pris en 2019 dans une phase « redécouverte de grands classiques », la superbe œuvre d’Herman Melville, Moby Dick, allait l’année suivante m’inspirer quelques paragraphes d’un court essai sur la quête du bonheur. Cet essai, Le Conte d’un Déluge, ferait référence à quelques textes fondateurs de la Bible qui m’avaient marqués depuis que je les avais entendus beaucoup plus jeune, et Moby Dick me renverrait plus précisément à l’histoire du prophète Jonas…  

Moby Dick, Herman Melville

J’ai toujours été impressionné par les grandes baleines. A l’instar des éléphants sur la terre ferme, ces mastodontes des mers, loin d’être effrayants pour moi, me paraissent dégager une sorte de bienveillance. J’attribuais cette impression au respect qu’imposent leurs dimensions hors normes, un respect que je voulais conférer au regard qu’ils portent eux-mêmes sur le monde (je ne reprendrai pas ici la maxime de l’oncle de Peter Parker sur le pouvoir et la responsabilité).

Aussi je ne comprends pas comment un animal si majestueux et au chant si mélodieux a pu de tout temps provoquer l’effroi et susciter tant de légendes où il apparaissait comme le monstre à abattre. Persée et le Kraken, Saint Georges et le dragon, le capitaine Achab et Moby Dick bien sûr, et même Pinocchio a eu le droit à sa baleine dans l’adaptation de Disney (dans la version originale de Carlo Collodi il s’agit d’un requin) !

Déjà aux temps bibliques le Léviathan était signe de terreur, symbole des tumultes d’un océan aux profondeurs obscures en opposition directe avec le côté rassurant et clair de la terre ferme : l’Homme au bord de son abîme intérieur. Personne ne savait à quoi ressemblait ce mastodonte des océans, sinon qu’il s’agissait d’une masse énorme et d’autant plus effrayante que le voile de l’eau dissimulait aux yeux des marins le détail de ses contours. Indéfinissable et indescriptible autrement que par ses dimensions extraordinaires, le Léviathan ne laissait ainsi aucun mot le cerner pour empêcher l’imagination de l’Homme de le transformer en un monstre sans cesse plus horrible et dont la simple évocation pouvait le dévorer de l’intérieur.

Aussi quelle meilleure façon de rendre le caractère effrayant de cette expérience qu’a vécue Jonas, d’être perdu au milieu d’une étendue d’eau sans fin, seul au monde, avec au-dessus de lui un ciel auquel il ne pouvait s’accrocher et en-dessous une profondeur insondable qui cherchait à l’avaler ? Son seul salut : un des tonneaux de la cargaison que les marins ont jeté par-dessus bord pour délester le navire et éviter le naufrage. Voilà comment Jonas fût englouti par le grand poisson et demeura dans ses entrailles jusqu’à en être rejeté sur le rivage.

Mais loin d’être le monstre qui avala Jonas, la baleine représente l’enveloppe qui isole le prophète des dangers de la mer en protégeant son âme face aux tempêtes qu’elle traverse. Dans son antre salvateur Jonas a pu se centrer sur lui-même et reprendre ses esprits pour retrouver la connexion avec Celui qu’il avait voulu fuir. Le chaos de la tempête, le déchainement des éléments au plus profond de lui, a généré la vie. Et après 3 jours et 3 nuits, temps de la reconstruction du Temple, la baleine l’a délivré à la lumière du jour sur les rives mésopotamiennes : une seconde naissance. À l’instar de tout prophète, Jonas venait de traverser son désert. Un chemin nécessaire pour accepter le message qu’il devait porter, mais qui n’était pas une fin, juste un nouveau départ.

Et quel plus beau mammifère à la fois puissant et doux aurait-on pu choisir pour symboliser la protection du ventre maternel avant la renaissance ?

Comme cet enfant, arrêtez-vous et prenez un instant.
Juste un instant

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Auteur/autrice : ME

Matthieu EVERST est chercheur en physique et passionné par les civilisations anciennes. Il s’intéresse notamment à la « pierre », support par lequel ces premières sociétés nous ont laissé le témoignage de leur présence et un instantané de leur rapport au monde. Il est l’auteur du roman intitulé « Si j’avais le Temps… » dans lequel le personnage principal plonge au cœur de la nature du Temps à travers un cheminement intérieur qui le conduira jusqu’à Stonehenge.

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