Une Lune pas si invisible que ça
Une réponse à la question soulevée dans la partie précédente pourrait être la suivante…
Au cours des mois qui suivent et surtout qui précèdent le solstice d’hiver à la station minimum, la lucarne intercepte également la Lune au cours de sa descente. Tous les 27,3 jours environ, durée que met la Lune pour revenir à la même position par rapport aux étoiles, elle se présente dans la lucarne mais avec un visage différent. En effet la période synodique, c’est-à-dire la durée entre deux pleines Lunes par exemple (durée qu’on appelle également lunaison) est d’environ 29,5 jours. Cela est dû au fait que la Terre tourne autour du Soleil si bien que lorsque la Lune revient à sa position initiale par rapport aux étoiles 27,3 jours après, elle n’est plus dans la même configuration par rapport au Soleil (Schéma 5).
Ainsi à chaque descente de la Lune dans la lucarne, elle sera éclairée de manière différente. Les 12-13 mois qui précèdent le solstice d’hiver la lucarne interceptera la Lune dans une phase allant successivement de son dernier à son premier croissant en passant par le deuxième quart à l’équinoxe de printemps, par la pleine Lune au solstice d’été, et par le premier quart à l’équinoxe d’automne. Notez qu’on se retrouve tous les 27,3 jours dans la lucarne avec une Lune qui présentera successivement les différentes phases lunaires qui sont observables jour après jour au cours du mois mais en mode inversé (Schéma 7). C’est ainsi que la nouvelle Lune au solstice d’hiver (J0 dans le schéma suivant) sera annoncée non pas par le dernier mais par le premier croissant 27,3 jours environ avant cette date. Les architectes de Stonehenge ont pu faire ainsi abstraction de la position de la nouvelle Lune au jour le plus court de l’année.
Il est peu probable qu’un alignement « luni-solaire » de Stonehenge soit le fruit du hasard à plus forte raison lorsqu’il se produit à ce moment clef de l’année. Le caractère binaire de la structure aurait par ailleurs fonctionné avec d’autres orientations, par exemple plus au sud pour correspondre avec les couchers du soleil et de la Lune à la station maximum au solstice d’hiver. Par contre dans ce cas la trajectoire de la Lune se situe en-dessous de celle du Soleil et c’est la porte qui aurait dû être utilisée pour intercepter la Lune descendante et la lucarne le Soleil. En orientant la structure vers le nord-ouest sur le coucher du soleil au solstice d’été on se retrouverait avec le cas symétrique car à la station minimum la trajectoire de la Lune passe sous celle du Soleil et c’est à la station maximum qu’elle est au-dessus. Autre différence dans ce dernier cas, c’est donc en été que la Lune interceptée est nouvelle. D’autres combinaisons pourraient prendre place de manière similaire en orientant la structure sur les positions du lever du Soleil et de la Lune à l’Est, en l’orientant vers le Sud pour le Solstice d’hiver et vers le Nord pour le solstice d’été.[Sims L., 2006, The ‘Solarization’ of the Moon] Les bâtisseurs de Stonehenge avaient ainsi 8 possibilités en tout pour orienter Stonehenge dans cette configuration binaire, mais celle qu’ils ont choisie correspond à la configuration qui permettait d’intercepter la Lune lorsqu’elle est nouvelle, à son coucher, pour la nuit la plus longue de l’année, et dans une disposition où elle passe sur une trajectoire qui domine celle du coucher du soleil. Il semblerait bien que le Soleil n’avait pas encore complètement remplacé la Lune dans le cœur de ce peuple qui opérait une transition vers l’agriculture et un mode de vie plus sédentaire…
Pour plus de précisions sur le sujet abordé ici je rappelle quelques références ci-après avec notamment le livre de John North (en anglais), ainsi que l’article de Lionel Sims qui suit une approche complémentaire à la vision « astronomique » en considérant également un aspect plus « anthropologique ». Cet article de Lionel Sims comporte un grand nombre de références sur ces questions. Vous trouverez également une liste de documentaires dans la bibliographie de mon roman Si J’avais le Temps… ou sur mon site.
Et bien sûr je ne saurai que trop vous conseiller d’aller visiter Stonehenge et les sites qui l’entourent…
Références
Cleal R.M.J., Walker K.E., et Montague R., 1995, “Stonehenge in its Landscape: Twentieth-century Excavations”. English Heritage
North J., 1996, Stonehenge: Neolithic Man and the Cosmos.
Sims L., 2006, The ‘Solarization’ of the Moon : Manipulated Knowledge at Stonehenge, Cambridge Archaeological Journal 16 (2) 191-207