L’écriture comme moyen pour se souvenir ou à l’inverse comme processus pour se rappeler. Figer des pensées pour le futur ou ramener à sa conscience des images du passé…
C’est au cours de ma progression dans l’écriture du court essai que j’avais en tête depuis plusieurs années, qu’une question restée en suspens depuis mon enfance ressurgit. Cette question avait fini par se fondre dans le paysage au milieu de l’accumulation croissante des images qui s’additionneraient au cours du temps pour le constituer. La maille d’une trame, le nœud d’un filet, un point de l’horizon. Enlevez-le et il vous révèlera un trou visible aux dépens de tout le reste, mais laissez-le en place et il s’effacera derrière l’intégrité de l’ensemble. Rien qu’un point, au loin, que rien ne distingue du fond jusqu’à ce qu’il vous soit pointé du doigt pour devenir l’objet central de votre attention.
Ce point était un arbre et pas n’importe lequel. L’arbre le plus important de notre humanité, celui qui occupe la place centrale de l’un des deux récits de la création figurant dans la Genèse : l’Arbre de Vie.
L’Arbre de la connaissance du bien et du mal me paraissait plus familier par le rôle central qu’il occupe dans le récit avec son fruit tentateur. Mais l’Arbre de Vie qui est mentionné au tout début du récit, qu’est-il, et surtout s’efface-t-il vraiment dans le corps du récit ?
Tantôt en opposition directe avec l’Arbre de la connaissance du bien et du mal, tantôt confondu avec lui quand Ève désigne ce dernier comme planté lui-aussi au centre du jardin.
Salomon, l’homme qui voulait épouser la sagesse, savait bien que pour celui qui parviendrait à la tenir, elle deviendrait arbre de vie. C’est ainsi qu’il définit la sagesse dans les Proverbes [Pr 3,18] des Livres Poétiques et Sapientiaux. Mais voilà, la sagesse ne s’acquière pas du jour au lendemain : on ne peut la donner, on ne peut que la trouver en soi. C’est un chemin personnel, une expérience propre au temps, à l’opposé même d’une information que l’on communique instantanément et qui est prise par tous, même ceux qui ne sont pas prêts pour la recevoir.
Une sagesse au service de tous, universelle et porteuse de vie, contre une connaissance du bien et du mal, données subjectives et ainsi source de conflits. Cueillir le fruit revenait à s’accaparer la connaissance puisqu’un autre s’en trouvait inévitablement privé, rendant de fait cette même connaissance stérile.
Et voilà que je prends la pleine mesure de cette conclusion d’Henri Gougaud : ce n’est pas pour que l’on cueille son fruit que l’arbre a été mis au centre du jardin, mais pour qu’il nous inspire à devenir comme lui et à porter à notre tour du fruit…
La connaissance et la sagesse comme les deux faces d’une même pièce : un seul et même arbre mais deux chemins.
Finalement peut-être me fallait-il simplement du temps, le temps de laisser l’idée murir afin qu’elle apporte d’elle-même par l’expérience une réponse à cette question. Une réponse plutôt qu’une donnée.